Vers une nouvelle histoire

Le syndicalisme français est une exception dans le syndicalisme européen. La France est le pays où le taux d'adhésion syndicale le plus bas (entre 7 ou 8% à comparer à 80% pour les pays de l'Europe du nord et aux 30 à 40% pour les grands pays européens). Le syndicalisme français n'a jamais été un syndicalisme d'adhérents mais un syndicalisme de militants.
La France est un curieux pays où les syndicats (à l'exception de la CFDT depuis quelques années) protégés par la loi ne donnent pas le nombre de leurs adhérents contrairement à tous les pays d'Europe et même des Etats-Unis. Cependant, on connaît grâce à une enquête européenne la présence syndicale sur les lieux de travail en pourcentage des salariés représentés. Et là, la France se situe en sixième position. Cette position correspond à une représentation syndicale de 65% soit autant, voire d'avantage, que l'Allemagne. Paradoxalement, les syndicats faibles en adhérents sont bien implantés dans les lieux de travail.
Cette exception française est le résultat des règles progressivement mises en place (1936 élections des délégués ouvriers, 1945 création des comités d'entreprise, 1968 sections syndicales, 1982 lois Auroux expression des salariés, obligation de négocier mais pas de conclure) mais aussi de la complicité des acteurs sociaux et de l'Etat. Division et faiblesse des syndicats, opportunisme permanent du patronat, et au dessus un Etat craint par les premiers et toléré, selon les circonstances, par le second. Les règles du jeu social ont permis aux acteurs de survivre en les entretenant dans leurs faiblesses et surtout sans se remettre en cause.
Mais tout n'est pas si noir, car ce syndicalisme a conduit à ce que la France soit le premier pays du monde quant au taux de couverture des salariés par une convention collective (de l'ordre de 90%). Il reste tout de même 10% sans.
Le syndicalisme français est constitué (et c'est unique en Europe, là aussi !) :
- d'un mouvement corporatif qui lutte pour les salaires et les conditions de travail et qui contrôle l'accès à la profession (syndicats du livre, dockers, intermittents du spectacle),
- d'un mouvement anarcho-syndicalisme qui, sans vouloir rentrer dans le détail, préfère la contestation aux propositions concrètes et efficaces,
- d'un mouvement réformiste dont fait partie la CFDT avec d'autres.
Comment, à partir de ce constat, un ouvrier, un salarié, un agent de l'Etat peut-il si retrouvé si ce n'est d'être attiré par celui-ci qui fait le plus de bruit et vacarme sans se soucier vraiment de ce qui nous intéresse, tous c'est-à-dire : le sens de l'intérêt général, la production de nouveaux droits et de nouvelles normes sociales.
La somme des lois et des accords ne cesse d'augmenter. Peu d'équipes syndicales et peu de directions d'entreprise ne maîtrisent vraiment cet arsenal. Encore moins un employé d'une PME ou d'une TPE. Tout cela n'engendre pas des adhésions massives.
Pour nous à la CFDT, le rapport Moreau de 1979 qui a mis en place ce que l'on a appelé le recentrage de la CFDT, a ouvert la voie depuis maintenant 30 ans. En effet, après la défaite de la gauche aux élections législatives de 1978, on s'est vite rendu compte qu'il ne fallait plus attendre la victoire de la gauche, surtout après les vicissitudes du programme commun, pour faire avancer nos revendications de l'époque.
Au Congrès, de Brest en 1979, il faut, affirme alors la CFDT, sur la base du rapport Moreau, négocier avec le patronat pour aboutir à des compromis. Sans s'en rendre compte, il ne fallait plus attendre l'aube du grand soir, nous étions devenus réformistes. Adieu la révolution, bonjour le réformisme !
A l’exception de la période suivant l’arrivée de la gauche au pouvoir, de 1981 à 1984, la CFDT confirme cette évolution. En janvier 1984, Edmond Maire, secrétaire général, décrit l’entreprise comme une "réalité positive". En 1985, il déclare à la tribune du Conseil national : "La vieille mythologie selon laquelle l’action syndicale, c’est la grève, cette mythologie a vécu". Et en 1988, le congrès de la CFDT efface la référence au socialisme autogestionnaire. Cependant, il reste toujours dans les statuts de la CFDT, un article qui indique que nous sommes toujours anticapitalistes (ce qui reste à vérifier).
Qu'a-t-on fait depuis ? Les différents secrétaires ont confirmé l’évolution réformiste de la CFDT, au prix d’incompréhensions internes, de déchirements et de départs, comme en 1995 lorsque Nicole Notat approuve le plan Juppé de réforme de la Sécurité sociale ou en 2003 lorsque François Chérèque apporte son soutien au projet Raffarin de réforme des retraites. Mais a-t-on aussi en engranger les bénéfices de ce positionnement ? Alors que la réforme de 2003 a permis le départ en retraite de plus de 400 000 personnes au titre des carrières longues, la CFDT a vu fondre ses effectifs de 30 à 40 000 militants et pas des moindres.
Pourquoi, dans ces conditions lorsque la CFDT négocie et signe des accords, perdons-nous des adhérents ? Et comment faire pour en faire venir de nouveaux qui ne nous quitterons pas au prochain accord signé ! 
“Le mouvement ouvrier crève depuis trop longtemps de ses certitudes. Il est temps de faire de ses interrogations une force” disait Edmond Maire en 1978. La situation n'a pas changé aujourd'hui car chaque fois que nous négocions avec le patronat et que nous parvenons à un compromis, nous nous amoindrissons. Alors que faut-il faire maintenant car si on ne fait rien notre syndicalisme va s'étioler voire disparaître ?
Une entreprise qui veut survivre, doit gagner de l'argent, un syndicat qui veut survivre doit gagner des adhérents et des militants et ne plus en perdre. Cela n'est pas plus compliqué. Le fait de mettre en avant, être acteur du changement, est-ce suffisant ? Est-ce vraiment mobilisateur. Où est la part de rêve (voire d'utopie) ?
La solution qui s'offre à nous est :
- d'unir les pôles réformistes (toutefois, on devra le faire quand même suite à la position commune sinon la plupart des sections et donc de nos syndicats disparaîtront, c'est un nouveau défi à relever d'ici quatre à cinq ans sans que l'on en ait bien pris conscience),
- de négocier au niveau interprofessionnel non plus à deux (syndicats et patronat) mais à trois (gouvernement, syndicats de salariés et patronat véritablement représentatifs). On pourra alors, et seulement dans ces conditions, avoir la garantie de signer réellement des accords équilibrés. En effet, on ne peut pas établir des compromis équilibrés à deux (syndicats et patronat) quand le troisième (le gouvernement)  fait ce qu'il veut : il jette le meilleur, et conserve le pire.
Ensuite, il conviendra de faire le choix entre les accords de branches et/ou les accords d'entreprise. Si l'on retient, en priorité, les accords de branche, ceux-ci ne doivent plus déroger au principe de faveur, sinon on marche sur la tête. Il restera à trouver la place des accords de proximité (au niveau du bassin d'emploi par exemple) mais qui négocie, l'UD, l'URI et qui signe ?
Enfin, et c'est aussi une caractéristique du syndicalisme français où les niveaux de négociation sont multiples, les syndicats de base participent aux fédérations de branche, aux confédérations ……. Dans les pays ayant choisi le niveau professionnel, la branche est ainsi devenue la référence. Les fédérations de syndicats ont donc un rôle déterminant, et par conséquent, la confédération, contrairement à la France, a un rôle modeste.

(à suivre ...)

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