Pourquoi les petites mains de Lejaby en sont arrivées
à jouer les gros bras ?
La genèse de l’entreprise LEJABY
Lejaby, entreprise française accueille en son sein 2 grandes marques :
- LEJABY : fleuron de la lingerie française est né en 1930 d’une idée géniale d’une petite modiste de Bellegarde, LA GABY qui rêvait de mettre en valeur les atouts et le charme féminin, elle créa le balconnet si seyant aux regards masculins. Depuis Lejaby perpétue les rêves de LA GABY.
- RASUREL : est une marque encore plus ancienne 1890, c’est le docteur Rasurel qui la fit naître en créant le premier tissu thermolactyl permettant aux hommes et aux femmes de se réchauffer dans des caleçons et dessous très douillets.
Deux frères se sont investis dans ces deux marques, elles furent des fleurons dans la Région Rhône Alpes. Qui n’avait pas son maillot de bain Rasurel, cité notamment par Frédéric DARD dans plusieurs des SAN-ANTONIO et Isabelle ADJANI fut l’égérie des dessous Lejaby.
Plus de 1 500 salariés et notamment une forte majorité de femmes vécurent du travail qu’elles ont fourni pour les marques, les ateliers étaient gais, nous chantions, nous étions viscéralement attachées à nos produits.
C’est à la suite du décès en 1995 de l’aîné des frères que Lejaby a changé radicalement de main, l’entreprise est rachetée par le groupe américain Warnaco, qui a vu en elle une manne financière à saisir, avec hélas, aucune volonté affichée d’investir sur la pérennité de l’outil industriel, l’affaire était bonne, alléchante, une bonne vache à lait qu’ils laissèrent vivre sur ses acquis, en roue libre.
Manifestation du 2 octobre 2010 à Lyon contre la réforme des retraites
En 2008, l’entreprise Lejaby est rachetée par le groupe autrichien Palmers, lui même spécialiste de la vente de lingerie féminine. De suite il annonce ses intentions : garder seulement 10 % de fabrication sur le territoire. A la suite de ce rachat, l’équipe dirigeante de l’entreprise a été remerciée et Lejaby a perdu près du quart de son chiffre d’affaires.
Un droit d’alerte a alors été diligenté par le CCE, l’équipe CFDT comprenant que le modèle de l’habillement allait encore faire des ravages sur l’emploi. Nous voulions mettre en place une GPEC dynamique avec un accord qui permettrait de regarder les évolutions de l’emploi dans le futur, de prévenir les restructurations en permettant aux salariées de faire un pari sur le futur dans et hors Lejaby. Hélas ni la direction qui ne voulait pas afficher son business plan, ni la CGT n’ont voulu anticipé les problèmes d’emplois que nous voyons poindre.
Pendant 2 ans, Palmers a réfléchi à la sauce à laquelle Lejaby allait être mangé. Pourtant, en 2009, Lejaby reste bénéficiaire avec un résultat net de plus de 1 million d’euros.
Aujourd’hui, le groupe annonce un programme d’investissements de 12 M€ dans le marketing et la commercialisation. Selon le groupe, ce programme devrait permettre une reprise des ventes de 25 M€ d’ici à 2012.
Selon les prévisions du groupe, la délocalisation permet sans doute de faire des économies sur le coût du travail, cette économie sur 3 ans représente à peu près les 10 M€ que coûterait la restructuration. Elle s’accompagne d’une augmentation des risques concernant la fiabilité des livraisons, la qualité des produits délocalisés et l’image de marque qui revendiquent leur positionnement de haut de gamme, respectueuses des valeurs du développement durable et de la responsabilité sociale.
Car cette décision entraine aussi une perte irrémédiable du savoir faire industriel en France, elle voue au chômage près de 200 salariées et affecte lourdement le tissu économique de territoires déjà en difficulté.
Un meilleur usage devrait être trouvé à ces 10 M€. Le groupe Palmers a pris le temps de mûrir sa décision. Nous demandons nous aussi le temps d’envisager et de mettre en œuvre toutes les alternatives possibles qui permettront, au cours des 3 prochaines années, de transmettre les savoir faire de notre profession, de redéployer l’activité industrielle locale et de préserver des centaines d’emploi.
L’effet d’annonce
Le plan de restructuration est annoncé au CCE le 30 avril 2010, la décision est la fermeture de 3 sites de production sur les 4 restants. Elle exécute des décisions qui ont été prises dès le rachat par Palmers, des décisions prises par un actionnaire ne connaissant pas l’entreprise, ses spécificités, et qui veut calquer son modèle à Lejaby : à court terme ce sera la fin d’une entreprise manufacturière. Contrairement aux discours ambiants, la part de la main d'œuvre Française dans les ventes de produits Lejaby ne dépasse pas les 10%, la part des dépenses commerciales et marketing avoisine 30% soit 3 fois plus!
La riposte
Dès l’annonce, le CCE nomme un expert (SYNDEX) pour analyser la note économique et sociale. La démonstration est faite que même si l’entreprise garde tous les sites de production, elle peut encore prétendre à faire des bénéfices, plusieurs cas de figure sont explorés et tous ont prouvé cette certitude.
La direction reste campée sur sa position : dégager du cash pour booster les ventes en chute de 23 % et pour se faire il faut sacrifier les ateliers de production. Mais si elle trouve l’argent pour financer un plan social, c’est que l’entreprise n’est pas en aussi mauvaise posture.
Pour la CFDT cette somme doit être mise au service du commercial, de la publicité et de la création, garder les ateliers sur le territoire doit devenir un bon outil publicitaire pour une entreprise dynamique et créative. Le seul argument développé est de faire comme la concurrence : le tout délocalisation, le coût de la main d’œuvre est trop élevé nous laisse t-on croire…
Pour la CFDT cet argument ne tient pas et cette logique est dangereuse pour tous les emplois, elle met en danger le tissu sociale sur notre territoire. Cette logique développée par le patronat de nos branches est une volonté politique de venir engraisser des actionnaires très vite sans regarder les conséquences sur le moyen et long terme.
Si on veut parler du coût du travail chez Lejaby ce n’est certainement pas les ouvrières qui «coûteraient» le plus puisque ce sont celles qui ont les rémunérations les plus basses de l’entreprise et dans le même temps on voit fleurir un parc automobile chez Lejaby digne des plus grandes multinationales : c’est un comble !
Des propositions
Devant l’inflexibilité de l’employeur sourd à toutes les argumentations économiques, le CCE fait des propositions alternatives allant dans le sens recherché par l’entreprise : une diminution des coûts salariaux. Pour ce faire, la CFDT demande la négociation d’un accord d’entreprise qui propose :
* Que le plan de restructuration se mette en œuvre immédiatement sur la base du seul volontariat interne ou externe mais que pendant une période de 24 mois l‘entreprise s’engage à ne pas fermer les sites.
* Mise en place d’un groupe de concertation qui fonctionnera pendant 24 mois jusqu’à la fin du processus.
* Organisation d’un processus de recherche de solutions industrielles organisé en 3 étapes : 1er diagnostic des sites, 2ème recherche de solutions, 3ème mise en œuvre des solutions retenues.
Cet accord a pour seul but de rechercher des solutions pour que les parcours professionnels des salariés de Lejaby ne se trouvent pas interrompus brutalement. Ce temps permettrait aussi à l’entreprise de mettre en place ses objectifs de relance des marques.
La direction n’a rien voulu entendre prétextant son impossibilité d’organiser des productions dans un contexte où, dit-elle, le volontariat viendrait perturber les organisations.
La CFDT demande à l’entreprise de mettre en place une préretraite maison pour les salariés en fin de carrière qui pour la plupart ont donné toute leur vie à l’entreprise. C’est une fin de non recevoir que nous avons entendu…Trop cher !!! La société civile prendra bien en charge des femmes en fin de carrière, fatiguées avec des TMS, le marché du travail fermera toutes les portes à ces personnes mais, ce n’est plus du ressort de Lejaby !!!
La CFDT a également proposé dans un contexte d’ouverture et d’écoute des arguments de l’employeur de ne conserver qu’un seul site : Bourg en Bresse avec une mobilité pour l’atelier de Bellegarde. Cette demande fait suite à une analyse d’une moindre casse sociale, d’une probabilité objective et pour permettre à l’entreprise de ne pas se délester d’un savoir très pointu des ouvrières.
Cette position est pour nous très difficile à présenter puisqu’elle écarte de fait les ouvrières du Teil, elle a été portée également par l’équipe CFDT du Teil tout en sachant que des mesures de reclassement externes devront être trouvées pour l’ensemble de ce site. D’où l’intérêt de l’accord présenté. La réponse est encore négative.
Quel sera le devenir de nos collègues ? Quelles sont les alternatives pour les mécaniciennes de Lejaby ?
Toutes ces femmes n’ont pour la plupart connu que Lejaby, elles sont très pointues dans leur domaine mais hélas aucunement monnayable sur le marché de l’emploi : ce métier tendant à disparaître, de plus elles ont une moyenne d’âge au-delà de 50 ans. C’est un grand écart qu’il faudra qu’elles entreprennent faire de la formation pour changer de métier, elles ont du courage mais elles savent très bien que ce ne sera pas facile.
La direction mise tout sur le congé de reclassement avec les cellules de reconversion. Encore faut-il donner les moyens nécessaires pour que cette alternative de recherche de reclassement externe ait les moyens de ses ambitions. Encore une fois la Direction de Lejaby compte et mégote sur les demandes.
Nos actions
La direction de Lejaby n’a pas les moyens ni la latitude de négociation. Elle est verrouillée par son actionnaire qui dans un même temps fait un procès à l’ancien propriétaire de Lejaby pour vente frauduleuse, en catimini. (Cette information n’ayant pas été fournie au CCE). On ne peut être que dubitatif quant à la capacité d’analyse de cet actionnaire et craindre les positionnements qu’il est appelé à prendre.
Le plan de restructuration est très bien ficelé, il n’est pas attaquable devant les Tribunaux, la seule erreur vient de l’actionnaire qui a engagé au Tribunal de Commerce de Paris en novembre 2009 une action pour DOL (tromperie) sur le prix de la vente. Cette information a été connue par le biais de l’AFP après l’annonce de la restructuration.
Le CCE a alors demandé des explications à l’employeur qui a fourni à l’expert les documents de l’assignation, il en résulte que Palmers demande la nullité de la vente pour tromperie.
Le CCE s’interroge peut-on engager une restructuration alors que dans le même temps les actionnaires demandent la nullité de leur achat. Nous avons saisi le TGI en référé qui nous a déboutés ainsi qu’en appel.
Le CCE et les organisations syndicales ont alors engagé une action sur le fonds pour dire que les informations devaient être données puisqu’il y a risque de cession si le Tribunal de Commerce statue dans le sens demandé par Palmers, ces informations auraient dues être portées à la connaissance du CCE. La décision est attendue pour le 19 octobre.
Tout a été mis en œuvre pendant la procédure du Livre II pour faire reculer la direction de Lejaby, rien n’y fait, aucune alternative n’a été écoutée ni entendue… droit dans leurs bottes, le rouleau compresseur est mis en route. Le plan est ficelé, la direction veut faire croire qu’elle est ouverte à la négociation, elle consent plusieurs réunions (10 au total) mais ne bouge pas de sa ligne. Pour la CFDT c’est une parodie de négociation.
Les salariées des ateliers sont mobilisées, mais la CGT fait trop souvent cavalier seul, elle défend ses seuls sites où elle est présente Bourg et Bellegarde. Pour la CFDT le combat se veut pour l’emploi de tous dans et hors Lejaby.
Les salariées pendant toutes les négociations sont restés mobilisées, des actions avec débrayage ont toujours soutenu les négociations, une action a été menée vers les Pouvoirs Publics le 8 juillet au siège de la Région. Tous les Politiques locaux se sont été mobilisés, nous avons demandé une table ronde avec le Préfet de Région qui ne s’est pas senti concerné, les élues sont montées à Paris vers le Ministère de l’Industrie, nous avons été écoutées mais rien n’a été entrepris vers les actionnaires comme la promesse nous avait été donnée. Ils sont polis… C’est déjà ça.
Et puis que faire quand tous affirment que le textile et habillement sont morts sur notre territoire … La branche habillement ne veut plus d’un tissu industriel français, elle veut du fric vite gagné, elle se tourne vers un métier de commerçant.
Et pourtant, le textile et l’habillement sont de vrais métiers et si nous les laissons partir au nom du business fric, demain nos créateurs n’auront plus le choix : soit ils se délocaliseront vers les savoir faire, soit ils laisseront leur savoir aux gens des pays accueillants nos métiers de mécaniciennes en confection.
Pour la CFDT la mondialisation ne doit pas être méconnue c’est pourquoi elle a dans plusieurfs de l’entreprise qui dans les années 2005 disait vouloir faire fabriquer 30 % de ces volumes sur le territoire, 30 % dans les Pays du Maghreb et 30 % de négoce vers l’Asie. A savoir que l’entreprise vend 40 % de ces volumes en France, la balance était alors correcte.
Ce positionnement de la CFDT n’était pas toujours compris par nos collègues CGT qui elles ne voulaient pas entendre prônant une Loi anti délocalisation. Cette logique était pour la CFDT un atout pour l’entreprise qui pouvait vendre ses produits avec le label français et pour la pérennité des emplois.
Devant l’attitude de la direction, les salariées ont vite compris que les dés étaient jetés, elles ont décidé de durcir le ton lors de l’avant dernier CCE. Tous les ateliers ont convergé sur le siège social, les filles avaient dans l’idée de faire de la résistance notamment sur les propositions du Livre I : si on les jetait comme de vieux mouchoirs, il fallait que l’entreprise paie.
Les filles de Bellegarde ont estimé le préjudice à 70 000€, la CGT l’a présenté à la direction. Pour la CFDT cette somme n’est pas atteignable, elle propose 25 000€ dans la logique des alternatives demandées dans le Livre II (2 ans minimum pour se reconvertir).
L’entreprise part quant à elle de 7 000€. Les filles investissent la salle de réunion et à 22 heures la direction fait appeler un huissier pour faire constater une soit disant séquestration !!!
Elles laissent partir la direction et décident de coucher sur place, l’occupation est décidée, le couchage se fait dans les escaliers, les vestiaires, l’entrée. Dès le lendemain à 6 H un piquet est constitué à l’entrée de l’entreprise, ne rentrait que les salariés du siège, les journalistes, mais aucun transport ne pouvait accéder au quai.
Quelle ne fût pas la surprise des premiers salariés arrivant pour 6 heures du matin, à la première embauche, de voir leurs consœurs faire du camping dans l’enceinte de l’entreprise. Elles ont eu une attitude digne, sans débordements, elles occupaient l’entrée de l’entreprise assises sur des chaises et tapant sur des bidons au rythme des chansons, debout à 4 h 30 pour laisser les locaux encore plus propres que lorsqu’elles s’y sont installées.
Elles couchaient la nuit sur des matelas pneumatiques dans des tentes dressées sur la pelouse, voir un camping car pour une d’entre elles. La popote s’est organisée, les unes apportaient les légumes du jardin, d’autres confectionnaient des quiches et des pâtisseries…un roulement s’est effectué pour permettre aux mamans d’aller câliner leurs petits.
La direction ne croyant pas que le siège durerait a attendu. La solidarité interne et externe s’est organisée, des inconnus apportaient des fruits, des croissants, de l’argent …. Le siège avait toute les raisons de durée. Les journalistes se sont emparés du conflit qui a été couvert non seulement sur le local mais sur le national voire l’international.
Après plus de 10 jours, la direction fait intervenir l’huissier pour constater que les camions n’entraient plus dans l’entreprise et elle assigne 5 salariés au TGI dans l’espoir que le juge demanderait la levée immédiate du piquet de grève. Première désillusion, le juge demande 3 jours pour rendre sa décision.
Les médias se font insistants sur le problème Lejaby et le Ministre demande au Préfet de diligenter une médiation. Ce qui est fait dans les locaux de la DIRECCTE en présence du Directeur Régional du Travail. La négociation a duré de 8 H à 1H 30, dans un premier temps nous avons remis l’emploi sur la table, la direction toujours droite dans ces bottes a admis n’avoir changé aucune virgule sur la partie économique et elle accepte de négocier la partie supra légale.
Après plusieurs suspensions et devant l’insistance du Directeur du Travail, la direction a fait chauffer la calculette pour s’arrêter à la proposition finale : un talon de 15 000€ et 600€ pour les 5 premières années de présence et 500 € pour les suivantes, paiement des heures de grève.
Il a été convenu si les salariés adoptaient cette proposition que le siège serait levé le lendemain. Les filles ont voté à 118 pour cette proposition et 29 l’ont refusé.
Le siège a été levé, les mannequins représentant les membres de la direction ont été brûlés, la CGT a replié ses banderoles. Seule la CFDT a laissé les drapeaux dans la pelouse, pour nous le combat n’est pas terminé, nous avons encore bien des choses à voir hélas ! Il reste une carte, elle est dans les mains du juge du TGI s’il statue en notre faveur, l’entreprise devra recommencer la procédure mais bien qu’elle a déjà annoncé la couleur, rien ne changera sur la fermeture des sites, nous avons encore une lueur d’espoir … à suivre.
Ce conflit très médiatisé a donné un certain espoir dans les luttes ouvrières, la solidarité que nous pensions trop souvent démodée a ressurgi et cela fait chaud au cœur.
Nicole Mendez ( Déléguée syndicale CFDT)
Cet article est paru dans la Voix du Rhône n°429 de novembre 2009.
Dernière minute : le Tribunal de Grande Instance de Lyon vient d'annuler la procédure de restructuration pour défaut d'information au Comité Central d'Entreprise.
Dernière minute : le Tribunal de Grande Instance de Lyon vient d'annuler la procédure de restructuration pour défaut d'information au Comité Central d'Entreprise.
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